La Bible éthiopienne est un vrai trésor de bibliothèque avec ses 81 livres, faisant d'elle la plus volumineuse des canons bibliques dans le monde chrétien. À titre de comparaison, la Bible contient 66 livres chez les protestants et 73 chez les catholiques. Car oui, pour celles et ceux qui ne sont pas familiers du christianisme, la Bible, ce n’est pas UN livre, mais une bibliothèque. Ainsi, par exemple, les cinq premiers livres de la Bible chrétienne, sont les cinq livres de la Torah juive.
Revenons à notre Bible Éthiopienne. Elle inclut des pépites comme le Livre d'Hénoch et les Jubilés, des textes appréciés dès les premiers temps du christianisme mais qui ont fini par être relégués au rang d'apocryphes par d'autres traditions.
Une Église ancienne qui a évolué de façon indépendante
Pourquoi cette différence ? L'Église éthiopienne est très ancienne. Le christianisme a été introduit en Éthiopie au IVe siècle après J.-C., précisément en 330, lorsque Frumence de Tyr, un chrétien capturé puis emmené en Éthiopie, convertit le roi Ezana d'Aksoum au christianisme. Ensuite, c’est une des rares nations à n’avoir pas été colonisée (à part une brève tentative d'occupation italienne pendant la deuxième guerre mondiale, qui vira au fiasco pour le fâcheux Musso’). Ainsi, l’église éthiopienne a évolué dans une relative indépendance du reste de la chrétienté et a gardé des livres que d'autres ont laissés de côté.
Bref, Prenons le Livre d'Hénoch, par exemple. Bien que cité dans l'Épître de Jude du Nouveau Testament, ce livre fascinant n'a été disponible en Occident qu'à partir du XVIIIe siècle quand des manuscrits éthiopiens furent découverts et rapportés en Europe.
Première page du Livre d'Hénoch, manuscrit XVIe siècle. (British Library, domaine public)
Hénoch est cité dans la Genèse qui fait sa généalogie : c’est le « septième après Adam », soit l'arrière grand-père de Noé (celui de l’arche avec tous les animaux oui, oui). Ce livre est divisé en plusieurs parties, mais pour faire simple, il parle beaucoup des aventures célestes d'Hénoch. Il rencontre des anges, découvre les secrets du ciel et de la terre, et reçoit des révélations sur l'ordre cosmique et le jugement à venir.
« Passages suspects », selon Saint-Augustin
Ce qui rend le Livre d'Hénoch intéressant, c'est son contenu sur les anges déchus, connus sous le nom de « Veilleurs ». Ces anges sont descendus sur Terre, ont enseigné diverses technologies et savoirs interdits aux humains, et ont causé pas mal de troubles. Pourquoi n'est-il pas dans toutes les Bibles ? Malgré son influence notable dans les premiers temps du christianisme, le Livre d'Hénoch a été écarté en raison de ses thèmes et de certaines de ses interprétations jugées trop éloignées de la doctrine principale.
Le grand, le merveilleux Saint-Augustin, figure fondatrice de l’Église et de la théologie chrétienne, écrit, dans son livre la Cité de Dieu :
« Nous ne pouvons nier qu’Hénoch, qui est Le Septième depuis Adam, ait écrit quelque secret divin ; car l’apôtre Jude en fait état dans son épître du Canon ; mais ce n’est pas sans raison que ces écrits ne figurent point dans le catalogue des Écritures, qui était conservé dans le temple des Juifs par le soin des prêtres, attendu que ces prétendus livres d’Hénoch ont été jugés suspects, à cause de leur trop grande antiquité, et parce qu’on ne pouvait justifier que ce fussent les mêmes qu’Hénoch avait écrits, dès lors qu’ils n’étaient pas produits par ceux à qui la garde de ces sortes de livres était confiée. »
Le Livre des Jubilés, rédigé autour du IIe siècle av. J.-C., est un autre manuscrit juif dont seule la version éthiopienne préserve la totalité des cinquante chapitres ! Les fragments retrouvés à Qumrân n'en sauvegardent que 15%, alors qu'un autre manuscrit des rouleaux de la Mer Morte le mentionne comme un texte sacré, utilisant la phrase typique « il est écrit », tournure que l'on retrouve souvent pour faire référence textes sacrés reconnus.
Les sœurs cachées de Caïn et Abel
Ce texte revisite les histoires de la Genèse et de l'Exode sans trop surprendre les lecteurs de la Bible, mais il ajoute certains détails. Par exemple, alors que la Genèse cite seulement les fils d'Adam et Ève, à savoir Caïn, Abel et Seth, le Livre des Jubilés inclut deux filles, Awan et Azura, qui deviennent les épouses de Caïn et de Seth, respectivement. Il y est également fait mention d’un cycle temporel divisé en jubilés de 49 ans.
Comme toutes les Bibles, et bien sûr comme pour le reste des textes en commun des autres Bibles, les langues et écritures d’origine des premiers textes varient : hébreu, paléo-hébreu, araméen, grec… Aujourd’hui la Bible éthiopienne est principalement écrite en guèze, un alphabet syllabaire et une langue liturgique ancienne qui appartient à la famille des langues sémitiques et est étroitement lié à l'amharique et au tigrinya, deux langues modernes parlées en Éthiopie et en Érythrée.
C'est une écriture abugida, ce qui signifie que chaque caractère représente une combinaison consonne-voyelle plutôt qu'une consonne ou une voyelle seule. Cet alphabet est dérivé de l'alphabet épigraphique sud-arabique, qui a été adapté pour écrire des langues sémitiques en Éthiopie et en Érythrée. Exemple pour la lettre B :